Bon, sinon, avec les kits d'origine, j'ai pour habitude de retracer l'historique de la voiture. Comme si c'était celui d'une vraie. Depuis les motivations d'achat jusqu'à aujourd'hui, comme ça se trouve dans les bons magazines de Muscle-cars.
Alors voilà l'histoire du American Super Sleeper...
Alors que les passionnés de Muscle-cars ne jurent que par les couleurs psychédéliques, les capots gonflés et les graphiques sauvages, il faut savoir que beaucoup de ces voitures étaient assez discrètes. Les raisons sont multiples : acheteurs jeunes n’ayant pas les moyens de prendre toutes les options de décoration, Sales Bank Cars commandées par des concessionnaires frileux, coureurs professionnels, versions export, etc etc.
L’une de ces raisons, c’est le Sleeper, cette pensée machiavélique visant a choisir un maximum d’options mécaniques sous un minimum d’apparence. Le but avoué du Sleeper ? Imprimer un air minable sur votre visage quand vous croyez avoir provoqué une Barracuda 318ci au feu rouge... alors que c'est une Cuda 440 à boite méca et pont court !
De quoi se sentir comme Will E. Coyote tombant du ravin. Et s’il y a un sujet que redoute le Coyote, c’est les Mopar Muscle !!!
Jeremiah Farell, lui, est un tueur de Coyote. Alors que les ados turbulents ont inventé le Sleeper, lui a inventé le Super-Sleeper limite comateux. Ce pédiatre de 32 ans est l’archétype du gendre parfait. Il est grand, mince, bel homme. A brillament réussi ses études de médecine, possède son propre cabinet, ne boit pas, fume raisonnablement, est toujours tiré à quatre épingles, et par-dessus le marché est célibataire. D’ailleurs, nombre des jeunes mères qui forment sa clientèle on tendance à exagérer les symptômes de leurs jeunes enfants, rien que pour le voir. Et quand il pousse la porte de Liberty Chrysler&Plymouth à New-York en Avril 1969, le vendeur s’apprête à lui proposer un coupé pépère ou une berline chic.
Seulement voilà, Farell est trop lisse, trop parfait sous tous aspects pour être honnête. Et s’il n’a qu’un vice, la vitesse, il y est totalement accro. Rapidement, Farell passe commande d’une Plymouth GTX que l’on confondrait avec un vulgaire Sport Satellite : peinture T-7 Saddle bronze metallic, toit vinyl noir, et aucun signe de performance à part les filets rouges sur la carrosserie et les pneus. L’intérieur est full-option : sellerie GTX haut-de-gamme, vitres électriques, radio, deux rétroviseurs réglables de l’intérieur, console centrale et Light Package. Les jantes restent les roues tôle obligatoires avec le Hemi, à la grande déception de notre client du jour, qui voulait les célèbres Recall Wheels en aluminium. Mais Farell se rattrape sur la mécanique, qui différence définitivement cette voiture d’un coupé bougeois : moteur 426 Hemi et Track-Pack comprenant une boite manuelle 4 rapports et un pont Dana 60 renforcé d’un rapport de 3.54 à 1. Le Super Track-Pack et son pont court de 4.10 à 1 n’est pas choisi car, pour Farell, il y a une vie après les 400 mètres. Il aime rouler vite dans les rues, et pousser le risque jusqu’à son extrême limite. D’ailleurs, quand la voiture arrive, c’est ce qu’il fait. La journée il soigne des bébés et repousse leurs mamans. Le soir il soigne plutôt ses trajectoires et repousse les flics. Il court contre des bad-boys tatoués, pulvérise les cartons dans les petites rues, et dessine des traces de pneus sur les docks.
Mais ce Docteur Jekyll fait tout pour entretenir sa respectabilité, et donc cacher son addiction aux courses de rues. Sa Plymouth ne sortant pas souvent intacte d’une course sauvage, Farell dépense des fortunes en pneus, freins, réparations carrosseries, réglages moteur et voitures de remplacement. Il alterne ses visites chez 5 carrossiers et garagistes différents, tous triés sur le volet, payés en espèce, et légèrement arrosés pour s’assurer de leur opacité. Il s’arrange pour éviter les sorties en public sans sa Plymouth et possède même quelques pièces d’avance, au cas où.
Ce véritable parano-maniaque finit par acheter un jeu de Recall Wheels en 1970. Elles sont déjà réputées dangereuses, mais pour lui, si les jantes qu’il achète n’ont pas cassé en 1 an, elles sont fiables et ne casseront pas.
A l'automne 1971, au courant de la fin programmée des Muscle-cars, Farell revend le GTX dans le mileu des coureurs de rue, et ira commander un Roadrunner GTX 440ci vert foncé encore plus discret. Notre 1969 Hemi, lui, subit le destin des Muscle-cars abusés par des propriétaires multiples et tyranniques. Son moteur casse en 1975, où il est remplacé par un 440ci à deux carburateurs. De cigarette en objet pointu, l’intérieur est quasiment ravagé au fil des ans. Finalement, la course de cette bête se termine contre une barrière en 1980. La voiture, accidentée, atterrit dans l’atelier de carrosserie d’un certain Franck Simeoni, à Philadelphie. C’est là-bas que travaille Ed Surkin. Travailler est un bien grand mot, car Surkin est un apprenti de 19 ans. Il s’intéresse de près à ce pauvre GTX qui lui rappelle son enfance et l’époque ou les Muscle-cars rutilants s’étalaient dans les magazines. Au bout de quelques mois, alors que la voiture est semi-abandonnée, il l’a rachète avec ses maigres économies, mais doit attendre 1986 pour l’attaquer. A cette époque, Ed est carrossier chez Simeoni, et passe son temps libre à démonter la voiture, la redresser et la mettre en apprêt. Mais ses finances sont encore trop faibles pour attaquer la mécanique et restaurer l’intérieur très abîmé. Peindre la voiture ne lui coûterait presque rien, mais à l’époque, le marron métal est sévèrement démodé, et Ed hésite à garder une couleur aussi ringarde. De toutes façons, rien ne presse, les Muscle-cars sont en plein Boom, et prennent un peu plus de valeur chaque jour.
Une bonne nouvelle arrive en 1989, quand Surkin se met à son compte et ouvre un atelier de carrosserie. Le GTX y est évidement déménagé, et les rêves de restauration refont surface. En 1992 l’atelier se spécialise dans les voitures européennes, chic et chères à réparer. Toujours en apprêt, la voiture est stockée à l’entrée du garage et voit passer des Mercedes grises, des Porsche, des Jaguar champagne, des BMW noires. Le summun de l’élégance européenne, dans des coloris qui n’aident pas Ed a décider de refaire ou non un marron métal sur sa Plymouth.Heureusement les finances s’améliorent au cours des années 90. La plupart des pièces nécessaires à la restauration sont achetées, y compris un bloc Hemi 528 tout neuf de chez Mopar Performance. En plus du choix de la couleur, le gros souci est celui de la vraie vie. Marié, père de famille, Surkin à autre chose à faire que restaurer son jouet, même s’il en rêve.
C’est en 2004 que tout bascule, le jour où Fred Collins, alors doyen des employés, s’apprête à partir en retraite. A 66 ans, il estime avoir réparé suffisament de voitures. Sauf une. Fred est né en 1938, et il avait la trentaine pendant la guerre des Muscle-cars. Il a d’ailleurs possédé une Mustang GT 390 et plusieurs Chevelle SS. Et le GTX de son patron lui a fait de l’œil toutes les années où il travaillait à côté. Quelques jours avant son départ, le vieux Fred demande à voir son patron : « Ed, je veux bien rester travailler chez vous un peu plus, mais uniquement sur votre Plymouth. Et uniquement pour la rendre aussi belle qu’au premier jour. Cinq jours sur sept, huit heures par jour. Et peu importe si je dois y passer une année ». Evidement, très touché, Ed est d’accord, et demande même à donner un coup de main de temps à autre.
Les travaux ne seront terminés qu’en 2008 et la voiture fait sa première apparition à un show local ou l’équipe du Mopar Collector’s Guide demande immédiatement à la photographier.
Aujourd’hui elle appartient toujours au jeune qui en est tombé amoureux quand ce n’était qu’un tas de boulons accidenté. Mais après 28 ans de persévérance, dont 20 passés à dormir, l’American Super-Sleeper est bien réveillé !
Dernières photos avec le RR bordeaux, et un Charger 69 très imparfait qui attend un lifting pour être posté...